L'Algérie adopte une loi criminalisant la colonisation française
Le Parlement algérien a adopté mercredi à l'unanimité une loi criminalisant la colonisation française (1830-1962) et réclamant à la France "des excuses officielles", un geste à forte portée symbolique qui pourrait exacerber les tensions entre deux pays déjà en crise.
Debout dans l'hémicycle, les députés, écharpe aux couleurs du drapeau algérien autour du cou, ont applaudi le passage du texte qui fait porter à l'Etat français "la responsabilité juridique de son passé colonial en Algérie et des tragédies qu'il a engendrées".
"Vive l'Algérie!", ont-ils scandé sous les youyous.
Le président de l'Assemblée populaire nationale, Brahim Boughali, a salué l'approbation de la législation "à l'unanimité" des présents.
La nouvelle loi liste les "crimes de la colonisation française", jugés imprescriptibles: "essais nucléaires", "exécutions extrajudiciaires", "pratique de la torture physique et psychologique" à large échelle et "pillage systématique des richesses".
Elle stipule qu'"une indemnisation complète et équitable pour tous les dommages matériels et moraux engendrés par la colonisation française est un droit inaliénable pour l'Etat et le peuple algériens".
- "Moment de rupture" -
Malgré la dimension indéniablement symbolique de la loi, son impact réel sur les revendications de réparations pourrait être limité.
"Juridiquement, cette loi n'a aucune portée internationale et ne peut donc obliger la France", a commenté pour l'AFP Hosni Kitouni, chercheur en histoire de la période coloniale à l'université britannique d'Exeter.
Mais "elle marque un moment de rupture dans le rapport mémoriel avec la France", a-t-il estimé.
Interrogé la semaine dernière sur ce vote, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Pascal Confavreux, a indiqué ne pas faire de commentaires "s'agissant de débats politiques qui se passent dans les pays étrangers".
Ce week-end lors des débats, M. Boughali avait assuré que cette démarche "ne ciblait aucun peuple, ne cherchait ni vengeance ni à attiser les rancunes".
Le vote intervient au moment où Paris et Alger restent empêtrés dans une crise diplomatique, à la suite de la reconnaissance à l'été 2024 par la France d'un plan d'autonomie "sous souveraineté marocaine" pour le Sahara occidental.
Plusieurs épisodes ont depuis aggravé les tensions, comme la condamnation et l'incarcération de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, finalement gracié à la faveur d'une intervention allemande.
La question de la colonisation française en Algérie est un sujet très sensible, qui demeure l'une des principales sources de tensions entre Paris et Alger.
- Essais nucléaires -
La conquête de l'Algérie, à partir de 1830, a été marquée par des tueries massives et la destruction de ses structures socio-économiques ainsi que par des déportations à grande échelle selon des historiens. De nombreuses révoltes ont été réprimées avant une sanglante guerre d'indépendance (1954-1962) qui a fait 1,5 million de morts algériens selon l'Algérie, 500.000 dont 400.000 Algériens selon les historiens français.
En 2017, Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle française, avait qualifié la colonisation de l'Algérie de "crime contre l'humanité". "Ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes", avait-il dit.
Après la publication d'un rapport de l'historien français Benjamin Stora en janvier 2021, M. Macron s'était engagé à des "actes symboliques" pour tenter de réconcilier les deux pays, mais en excluant cette fois des "excuses".
Il avait ensuite provoqué un tollé en Algérie en s'interrogeant selon le journal Le Monde sur l'existence d'une nation algérienne avant la colonisation.
Selon le texte, l'Etat algérien s'emploiera à réclamer à la France qu'elle décontamine les sites des essais nucléaires.
Entre 1960 et 1966, la France a procédé à 17 essais sur plusieurs sites dans le Sahara algérien.
Le texte qualifie également de "haute trahison" la "collaboration des harkis", le nom donné aux auxiliaires algériens de l'armée française, et prévoit de punir toute personne faisant l'apologie ou justifiant la colonisation.
La criminalisation de la colonisation française a été mise sur la table à plusieurs reprises depuis les années 1980 en Algérie, sans aboutir jusqu'ici.
A.Sala--GdR