En Équateur, les habitants de Manta divisés sur l'éventuel retour d'une base militaire américaine
Dans l'ancienne base militaire américaine de Manta, en Équateur, règnent le silence et les mauvaises herbes. Un possible retour de l'armée des Etats-Unis pour appuyer la lutte contre les gangs divise la population locale, hantée par de mauvais souvenirs liés à cette présence étrangère.
Entre 1999 et 2009, ce port situé dans le sud-ouest du pays a accueilli des troupes américaines, avant que les bases militaires étrangères ne soient interdites par le président de gauche Rafael Correa (2007-2017).
Un référendum prévu dimanche doit décider si l'Équateur autorise de nouveau les bases étrangères dans le pays.
Cette initiative du jeune président conservateur Daniel Noboa bénéficie du soutien d'une majorité de la population. Elle doit permettre de muscler la réponse de l'Équateur face au trafic de drogue et au crime organisé, dans un pays devenu plateforme logistique pour 70% de la cocaïne mondiale et l'un des plus dangereux d'Amérique latine.
Mais à Manta, ville d'environ 270.000 habitants frappée par la pauvreté et la violence, Trinidad Rodriguez estime qu'une nouvelle base étrangère serait "une perte de temps et d'argent".
Pour cette habitante interrogée par l'AFP, le gouvernement ferait mieux de répondre aux besoins fondamentaux de la population. "Nous vivons oubliés, nous n'avons même pas d'eau", raconte-t-elle en préparant près du port des fritures qu'elle vendra.
Des organisations de pêcheurs et de défense des droits se souviennent avec douleur des violations des droits humains durant la présence militaire américaine.
- Disparitions -
À Manta, les États-Unis disposaient d'un poste d'opérations avancées (FOL) sur une base opérée par la Force aérienne équatorienne (FAE).
Ils utilisaient des avions équipés de radars pour détecter des bateaux transportant de la drogue ou des migrants, puis s'approchaient avec des embarcations, allant jusqu'à les couler selon leurs détracteurs.
Une commission parlementaire a documenté plus de 5.000 opérations menées par le FOL en une décennie.
Lors de ces opérations, "des violations des droits de l'Homme" ont notamment visé des pêcheurs, affirme l'experte en sécurité Carla Alvarez, de l'Institut des Hautes études nationales à Quito. Les militaires américains bénéficiaient d'une immunité face à la justice du pays, rappelle-t-elle.
Près de la base désormais à l'abandon, dans le quartier de pêcheurs Los Esteros, Maria Urgiles, 45 ans, pleure toujours la disparition de son mari sur un bateau de pêche en 2002.
Elle affirme que l'embarcation de son époux "a été coulée par le FOL", entraînant la disparition de 18 membres d'équipage.
"C'étaient des pères de famille, des fils, des maris, des oncles" qui voulaient nourrir leurs enfants, clame-t-elle, "pas des animaux".
L'ONG locale Inredh a recensé au total 14 bateaux coulés, quatre endommagés et 125 migrants soumis à des traitements inhumains.
- "Garantir la sécurité" -
Ces dernières années, l'Équateur a pris de l'importance dans le trafic international de drogue en raison de sa position stratégique sur le Pacifique, qui en a fait une porte de sortie privilégiée pour la cocaïne colombienne et péruvienne destinée aux consommateurs en Europe et aux États-Unis.
Malgré la politique de fermeté adoptée par le président Noboa, au pouvoir depuis 2023, le pays atteint des records d'homicides dans la région. Sur les six dernières années, les morts violentes y ont progressé de plus de 600%.
Lucia Fernandez, vice-présidente de la Chambre de commerce de Manta, voit dans un éventuel retour des militaires américains une chance de garantir la sécurité et de dynamiser l'économie du port.
Les Américains "ont fait un excellent travail, Manta a grandi et s'est développée" en leur présence, souligne-t-elle.
Pour Roberto Salazar, président du port international par lequel transite 1,2 million de tonnes de marchandises chaque année, le "soutien" américain est crucial pour faire face à la "crise" sécuritaire dans laquelle est plongée Manta, avec plus de 450 homicides enregistrés depuis le début de l'année.
Frank Mestanza, un économiste qui a fui cette cité en 2022 face aux menaces, a une analyse différente. Pour lui, les soldats américains ont peu contribué à l'économie, faute de consommer dans les commerces locaux.
Sur le volet sécuritaire, "la ville était déjà sûre", affirme-t-il, si la situation "s'est détériorée, c'est pour d'autres raisons et non parce que les militaires sont partis".
L'experte Carla Alvarez estime quant à elle que "l'idée qu'une base militaire résoudra les problèmes est naïve".
S.Esposito--GdR