A Jérusalem, les juifs ultra-orthodoxes dans la rue contre la conscription
Des dizaines de milliers d'hommes en noir, la couleur portée par les juifs ultra-orthodoxes, se sont rassemblés jeudi dans les rues de Jérusalem pour protester contre la conscription obligatoire.
Arrivés dès la fin de la matinée pour certains, ils ont occupé l'un des principaux axes à l'entrée de la ville sainte et les rues alentours, ont constaté des journalistes de l'AFP. Peu avant, la police avait fermé cet axe et mobilisé 2.000 agents.
Muni d'un haut-parleur, un rabbin a récité des psaumes repris en choeur par une foule compacte exclusivement masculine.
Et un hélicoptère a survolé la foule participant aux prières collectives, celles traditionnellement récitées dans les moments graves pour le peuple juif.
"Nous n'allons pas à l'armée, non pas parce que nous sommes égoïstes, mais parce que nous essayons de nous préserver, conformément à ce que la Torah nous enseigne et ce que les rabbins nous disent. Servir dans l'armée est contraire à la Torah", a expliqué à l'AFP Abraham, 27 ans, étudiant dans une yeshiva à Jérusalem, qui a refusé de donner son nom de famille.
Peu de pancartes sont visibles, mais sur certaines on pouvait lire: "mieux vaut aller en prison qu'à l'armée".
"Nous ne sommes pas venus ici pour manifester mais pour un rassemblement de prière, car nous ressentons qu'un décret venu du ciel nous menace", a dit Arik, 55 ans, venu d'Ashdod (sud).
L'initiative ne fait pas l'unanimité dans la classe politique. Avigdor Lieberman, chef du parti nationaliste Israël Beiteinou, a estimé sur X que "la manifestation pour l'exemption de la conscription est une honte pour la direction du pays et une insulte envers nos soldats héroïques!".
A l'appel des deux partis ultra-orthodoxes Judaïsme unifié de la Torah (JUT) et Shass, les manifestants ont afflué de tout le pays pour réclamer le rétablissement d'un arrangement qui exemptait du service militaire les étudiants des yeshivot (écoles talmudiques), avant son invalidation par la Cour suprême.
"Le gouvernement israélien, la Cour suprême et le procureur général se sont opposés à eux (les étudiants en yeshiva) et veulent les mettre en prison. Cela n'arrivera pas", affirme le rabbin Avraham Bismuth, 70, qui habite dans la ville de Beit Shemesh, près de Jérusalem.
-Exemption de facto-
Cette exemption a été fragilisée par la guerre à Gaza, qui a mobilisé des centaines de milliers d'Israéliens alors que l'armée manquait de soldats et de réservistes.
En vertu d'un arrangement remontant à la création de l'Etat d'Israël en 1948, les ultra-orthodoxes ont bénéficié pendant des décennies d'une exemption militaire de facto, à condition qu'ils se consacrent à l'étude à plein temps des textes saints du judaïsme.
En juin 2024, la Cour suprême a tranché qu'une loi régularisant la conscription pour les ultra-orthodoxes devait être votée.
Le projet de loi en discussion en commission parlementaire devrait pousser les jeunes ultra-orthodoxes qui n'étudient pas à plein temps à s'engager.
Pour une partie des rabbins ultra-orthodoxes, l'appel à l'armée représente un danger, les jeunes risquant de s'éloigner de la religion. Mais certains acceptent que leurs fidèles qui n'étudient pas les textes saints à plein temps puissent s'engager.
Les partis Shass et JUT ont quitté le gouvernement dans l'attente d'un projet de loi promis dans les accords de coalition fin 2022, censé pérenniser l'exemption.
Le parti séfarade Shass (11 sièges à la Knesset) n'a toutefois pas quitté la coalition. Mais si elle s'en retire à cause de cette loi, le Premier ministre Benjamin Netanyahu risquerait de perdre sa majorité, ouvrant la voie à des élections anticipées, selon des experts.
Les ultra-orthodoxes représentent 14% de la population juive d'Israël, soit près de 1,3 million d'habitants. Jusqu'à récemment, environ 66.000 hommes en âge de servir bénéficiaient d'une exemption.
Des milliers d'ordres de recrutement ont été envoyés ces derniers mois et plusieurs déserteurs incarcérés, entraînant des appels à manifester.
Un accident survenu dans l'après-midi a mis fin à la manifestation. Un jeune homme est décédé après être tombé d'un endroit en hauteur. Les organisateurs ont alors demandé aux participants de cessez les prières et de se disperser.
La police a ouvert une enquête sur les circonstances de cet incident, avant d'annoncer dans un communiqué avoir dispersé par la force des manifestants pour "trouble à l'ordre public", précisant qu'un policier avait été légérement blessé.
P.Vincenze--GdR