

Roumanie: soulagement du camp pro-européen mais pas d'état de grâce
L'heure est au soulagement lundi dans le camp pro-européen en Roumanie au lendemain de la défaite du candidat nationaliste à la présidentielle, mais le vainqueur Nicusor Dan a désormais la lourde tâche de rassembler un pays meurtri.
"Je me sens vraiment bien, soulagé, si heureux que nous puissions poursuivre sur la voie européenne", commente dans les rues de Bucarest Adrian Ciubotaru, un informaticien de 33 ans, qui craignait que la Roumanie devienne "une sorte d'Etat paria".
Très loin derrière à l'issue du premier tour, le maire centriste de la capitale, 55 ans, l'a emporté dimanche soir avec 53,6% des suffrages, contre 46,4% pour son rival nationaliste George Simion, 38 ans, grâce à une hausse de mobilisation exceptionnelle entre les deux tours.
Un succès à l'ampleur inespérée qui lui a valu les félicitations appuyées de plusieurs dirigeants, d'Emmanuel Macron à Donald Tusk, en passant par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le secrétaire général de l'Otan, Mark Rutte.
Cinq mois après l'annulation - à laquelle avait réagi l'administration Trump - du précédent scrutin sur fond de soupçons d'ingérence russe, le vote dans le pays d'Europe orientale de 19 millions d'habitants était suivi de près à Bruxelles, où certains redoutaient l'arrivée d'un autre eurosceptique hostile à l'aide à Kiev.
D'autant que le président roumain est celui qui siège aux sommets européens et de l'Otan, avec à la clé un droit de veto sur des dossiers clés.
Même satisfaction du côté de l'Ukraine et de la Moldavie voisines, dont M. Simion est interdit d'entrée après ses propos irrédentistes passés.
- "Deux Roumanies" -
Pour autant, pas de triomphalisme: après les effusions de la soirée électorale, le nouveau chef d'Etat a du pain sur la planche.
"Ce n'est pas une longue route tranquille" qui l'attend, confirme Sorina Soare, politologue à l'université de Florence.
Nicusor Dan "devra œuvrer à la réconciliation dans une société profondément polarisée, en colère, où le compromis et le dialogue semblent suspendus", dit-elle à l'AFP, pointant "la vulnérabilité" du pays et "les risques de déstabilisation".
Plébiscité par un électorat urbain, ce mathématicien de formation a été boudé par de nombreux électeurs des zones rurales, qui ont choisi son adversaire dans un vote protestataire durablement enraciné.
Lors de son discours de victoire, le quinquagénaire a insisté sur la nécessité de réunir ces "deux Roumanies", conscients que "les tensions allaient perdurer des mois, voire des années".
"Nous avons perdu un combat, mais pas la guerre", a d'ailleurs averti George Simion en concédant sa défaite dans la nuit, après avoir initialement proclamé sa victoire et dénoncé des "fraudes massives" - un narratif repris sur les réseaux sociaux.
Cet échec ne doit pas masquer le fait qu'il s'agit d'un "score historique", a abondé sur X l'eurodéputée française d'extrême droite Marion Maréchal. "Ce résultat", ajoute-t-elle, "appelle les victoires de demain".
- "Réduire la corruption" -
La première tâche concrète du nouveau président : "mener des négociations avec les quatre partis pro-occidentaux du Parlement" et nommer un Premier ministre après la démission surprise dans l'entre-deux-tours du social-démocrate Marcel Ciolacu.
La "concertation" avec le gouvernement sera essentielle alors que les milieux économiques appellent à rétablir la confiance en une Roumanie lourdement endettée, rappelle l'analyste.
A plus long terme, il faut "réformer l'Etat, la justice, réduire la corruption", a souligné le maire de Bucarest, qui a fait campagne sur le slogan d'une "Roumanie honnête".
Les partis qui ont dominé la vie politique depuis la fin du communisme en 1989 vont devoir tirer des leçons "drastiques" des récents scrutins, estime Andreea Unguranu, employée de banque de 52 ans, en référence aux libéraux et aux sociaux-démocrates.
Enfin, Nicusor Dan devra réparer l'alliance distendue avec les Etats-Unis et écarter le risque d'un retrait partiel des 1.700 soldats américains présents sur le sol roumain.
Après les propos très critiques du vice-président américain JD Vance, qui avait fustigé l'annulation du vote du 24 novembre "sur la base des faibles soupçons d'une agence de renseignement", les yeux sont tournés vers Washington, qui n'a pas encore réagi à la défaite de George Simion.
A.Vecchi--GdR