

La France, mauvais élève dans le paysage de la dette en Europe
Emprunter sur dix ans pourrait bientôt coûter plus cher à la France qu'à l'Italie. Après l'Espagne et le Portugal, qui bénéficient déjà de meilleurs taux, l'Hexagone s'englue à sa place de mauvais élève budgétaire de l'Europe.
Début juillet, le taux de la dette souveraine italienne à échéance 5 ans a glissé sous le taux français, une première depuis 2005.
Le prochain signal fort pourrait venir du taux d'emprunt à dix ans, la référence pour les comparaisons internationales, et donc pour évaluer la fiabilité financière d'un État aux yeux des marchés.
- "Enormes efforts" -
Le taux français à dix ans, actuellement à 3,37%, est au cœur des préoccupations tant l'écart se réduit avec celui de l'Italie, à 3,54%. Le "spread", ou l'écart entre les deux, "se réduit à peau de chagrin", souligne Mabrouk Chetouane, responsable de la stratégie de marché de Natixis IM.
Il n'est désormais à moins de 0,2 point de pourcentage, contre 1,20 point il y a un an. Les courbes pourraient se croiser.
Ce "rapprochement (...) ne fait que traduire une tendance que l'on constate dans dans les finances publiques", affirme Philippe Ledent, expert économiste chez ING. Il estime qu'il faudra "d'énormes efforts" de la France pour renverser la vapeur.
"Nous sommes à un moment critique de notre histoire", a martelé mardi le Premier ministre français François Bayrou, en dévoilant ses mesures pour redresser les finances d'un pays soumis au "danger mortel" de "l'écrasement par la dette".
Il a rappelé que le déficit public de la France a atteint 5,8% du PIB en 2024, pour une dette publique représentant près de 114% du PIB, soit la troisième plus importante de la zone euro derrière la Grèce et l'Italie.
D'après les projections de la Commission européenne publiées en mai, la France devrait enregistrer le pire déficit public de la zone euro en 2025 et 2026.
La France se retrouve "enlisée dans une croissance économique faible, des finances publiques hors de contrôle (...) et une notation qui a tendance à se dégrader", poursuit M. Ledent.
L'agence S&P a en effet amélioré en avril dernier la notation de la dette publique de l'Italie à "BBB+", assortie d'une perspective "stable", quand la note de la dette française (AA-) est assortie depuis février d'une perspective négative, ce qui signifie qu'elle pourrait être rétrogradée.
- "Pragmatisme spectaculaire" contre blocage politique -
En face, malgré l'ampleur de la dette italienne - proche de 3.000 milliards d'euros en 2024, soit 135,3% de son PIB - Rome retrouve la faveur des marchés.
La présidente du Conseil italien Giorgia Meloni et son gouvernement, sous forte pression pour réduire cette dette colossale, "ont fait preuve d'un pragmatisme économique tout à fait spectaculaire", relève Mabrouk Chetouane.
Le déficit public italien s'est réduit davantage que prévu en 2024, à 3,4% du produit intérieur brut (PIB). Des revenus fiscaux meilleurs qu'anticipé ont même permis de revenir à un excédent des comptes publics au quatrième trimestre 2024, ce qui n'était pas arrivé depuis 2019.
De quoi "considérer que l'Italie est mieux en mesure de gérer sa dette que la France", selon Benjamin Melman, responsable allocation d'actifs chez Edmond de Rothschild.
La France est, elle, "perçue comme un pays qui n'arrive pas à faire de réformes, qui est déjà allé très loin avec un taux d'imposition important, et qui se retrouve aujourd'hui un peu bloqué", explique à l'AFP Aurélien Buffault, gérant obligataire de Delubac AM.
Et depuis la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 2024, les investisseurs redoutent le blocage politique.
Ils exigent donc un rendement plus élevé pour détenir de la dette française, "une prime" légitime "car il y a un risque que le pays devienne ingouvernable", note M. Chetouane.
L'annonce par François Bayrou d'une cure budgétaire draconienne de 43,8 milliards d'euros pour 2026 n'a d'ailleurs pas ému le marché obligataire, resté de marbre. Une indifférence qui devrait perdurer tant que les mesures présentées ne sont pas concrétisées.
Pour M. Ledent, "il va falloir passer ce cap, et probablement l'une ou l'autre censure (du gouvernement) à la rentrée".
L.Costa--GdR